« Mystique du droit », « romantique révolutionnaire », « Robocop », « prophète de la pureté démocratique », « Robespierre »… Pas simple d’englober Kaïs Saïed d’une formule toute faite. Sa relative discrétion n’ajoute rien à l’énigme. L’homme est une sorte d’ascète tunisois, logeant à l’Ariana, vivant sans tapage. Il est un pur produit de l’université tunisienne. Âgé de 61 ans, il fait partie d’une génération qui a bénéficié de l’élan impulsé par Bourguiba au lendemain de l’indépendance. Philosophie : si nous n’avons pas de richesses naturelles (pétrole, gaz), misons sur la matière grise, l’éducation. Ce qui a permis, entre autres, l’essor d’une administration solide. Administration qui, aujourd’hui, est en attente d’un nouveau souffle politique, d’une direction.
Contre une Assemblée élue au suffrage universel direct
L’arrivée de la démocratie, le 14 janvier 2011, a fait émerger plus de deux cents partis politiques. Une pléthore, euphémisme. La vie politique a soudainement éclaté. Elle était jusque-là réduite à peau de chagrin par Ben Ali et la fin de règne de Bourguiba sacré « président à vie ». Le Parlement issu des urnes du 6 octobre en est la preuve vivante : 31 partis occuperont l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) à partir du 30 novembre prochain, date inaugurale des nouveaux travaux. Pour l’heure, aucune majorité n’est en mesure de se dessiner. Et le candidat Saied ne souhaite pas conforter ce réacteur nucléaire de la vie institutionnelle décidée par la Constitution de 2014. Quelques jours avant les législatives, il a expliqué que « cette élection ne nous concerne pas ». L’homme ne veut plus de députés élus au suffrage universel direct. Il souhaite que des élus locaux en soient les votants. Il estime que les partis ont trahi la révolution avec leurs querelles de boutiquiers et sa conséquence, la dégradation de la situation sociale et économique. Il préconise une mise à bas du système. Une révolution par les urnes. À ses yeux, ce ne sont pas les hommes qui sont coupables mais le système.
Une approche de la campagne électorale qui lui est propre
Kaïs Saïed, c’est un style malgré lui. Invariablement vêtu d’un costume irréprochable, dandy low cost, l’homme veut incarner une forme de jansénisme. Dans la rue, il ne joue pas la démagogie, il ne vend « pas des rêves ». Il va dans les cafés populaires, on dit ainsi lorsque le café n’excède pas 800 millimes (le centime tunisien), se promène dans les rues, ruelles, serrant les mains, accordant du temps, un citoyen parmi les citoyens. Sa volonté : ne pas brader du rêve est un slogan qu’il martèle depuis des mois, de Kasserine à Tunis. Ce qui tranche avec bon nombre de candidats qui promettent des jours meilleurs, un pouvoir d’achat amélioré, des emplois…
Kaïs Saïed a la constance de ses opinions depuis 2011. Le 5 octobre, Saïed stoppe sa campagne « pour des raisons morales ». Son adversaire, Nabil Karoui, ayant été placé en détention préventive, ne pouvait battre les estrades. L’égalité des chances ne pouvait être donc au rendez-vous. Saied explique d’un tweet sa position. Retournement de situation le 9 octobre. La Cour de cassation ordonne la libération immédiate de Karoui, 48 heures avant la fin de la campagne officielle. Et Saied de reprendre illico son bâton de pèlerin, direction Sousse. L’homme a accompli une campagne au budget mesuré. Au millime près. « Notre campagne est basée sur le volontariat, sur la disponibilité des volontaires, sans financement d’aucun parti », a-t-il répété.
C’est l’un de ses traits de caractère depuis des années, il répète, dix fois, cent fois ses positions. Dans une austérité revendiquée, comme une marque, il arrive en tête du premier tour de la présidentielle sans meetings, sans publicité payante autre que les affiches officielles qui sont placardées sur les murs du pays. 18,4 % contre 15,58 % pour Karoui, homme de communication.
Face à certains politiques, Saïed peut paraître déconcertant. Il s’est appuyé sur les réseaux sociaux. La jeunesse qui le soutient, éduquée et en attente de justice sociale, a relayé les messages de son candidat via facebook, Twitter & Co. Un puissant vecteur dans un pays qui compte près de huit millions de comptes Facebook pour une population de onze millions. Les Tunisiens sont addicts à la téléphonie mobile. On dénombre quatorze millions de numéros. Carton plein. Ils seront 620 000 électeurs à choisir le numéro 17 au premier tour. Le 17, c’est Saied. Le 4, Karoui, obtient 520 000 suffrages malgré son incarcération.
Kais Saied : la Constitution, rien que la Constitution
Depuis 2013, les premiers soubresauts liés aux assassinats politiques de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, Kaïs Saïed s’est imposé peu à peu comme un visage familier. Il intervient régulièrement à la télévision pour évoquer la Constitution. Le journal télévisé de la Wataniya, la chaîne publique nationale, lui confie une place de choix pour évoquer de façon constitutionnelle les soubresauts politiques. Selon lui, ses propos, affirmés, réaffirmés, sur l’origine de la situation actuelle trouve ses racines dans le non-respect des origines de la révolution de 2011. Le social, rien que le social.