Bien loin des réalités sur les départs clandestins vers l’Europe et les naufrages mortels, la diaspora subsaharienne de la Tunisie se démarque dans l’entrepreneuriat. Malgré les difficultés, ces ressortissants ont réussi à changer la perception négative de la migration dans le pays.
Dans la ville portuaire de Sfax à l’est de la Tunisie, l’incubateur Kufanya qui signifie « Entreprendre » en langue swahili, accueille étudiants, travailleurs et autres migrants subsahariens porteurs de projets d’entreprise. Construction de drones, marques de vêtements ou encore plateformes d’import-export et d’e-commerce sont entre autres projets développés au sein de l’incubateur. On y retrouve aussi une banque alimentaire pour les migrants en situation précaire, et une cellule destinée à accueillir des victimes de traumatismes vécus durant leur traversée.
Paul Laurent Nyobe Lipot, un Camerounais âgé de 28 ans, est le fondateur de Kufanya. Installé en Tunisie depuis 7 ans, cet ingénieur de formation et activiste dans la société civile, a confié sur Le Monde en avoir eu marre de participer à des conférences sur les conditions des migrants subsahariens en Tunisie, sans résultat concret.
« Nous avons voulu faire de ce lieu un tremplin pour aider à l’entrepreneuriat et accompagner les projets d’étudiants subsahariens en Tunisie qui sortent diplômés d’universités tunisiennes, mais avec un marché du travail où le taux de chômage est élevé » a-t-il expliqué.

Figure 1: Paul Laurent Nyobe Lipot
À Sfax, les départs clandestins de migrants vers l’Europe et les naufrages mortels en cours de traversée sont fréquents. Entre 30 000 et 40 000 travailleurs migrants subsahariens vivent en situation irrégulière en Tunisie, renseigne le média. Kufunya aide nombre d’entre eux à obtenir un statut d’entrepreneur, une lourde responsabilité qui a néanmoins été facilitée par le Start-up Act, voté en 2018.
Cette loi permet aux Tunisiens, mais aussi aux étrangers de développer leurs entreprises dans le pays. Le cadre législatif exonère les start-up d’impôts et de taxes pendant près de huit ans. L’incubateur propose aux aspirants entrepreneurs un accompagnement juridique et un petit soutien financier grâce à l’aide de bailleurs de fonds comme l’Organisation internationale pour les migrations et l’Union européenne.
Parmi les entrepreneurs soutenus par Kufunya, Jean-Philippe Kokora, un étudiant de 21 ans originaire de Côte d’Ivoire, et qui développe Amonak, une plateforme africaine d’e-commerce. Gadus Niyonzima, un autre étudiant de 24 ans, s’est lancé dans un projet de fabrication de drones destinés à son pays d’origine, le Burundi, afin de transporter des médicaments dans des villages isolés. La plupart de ces entrepreneurs doivent surmonter bien des obstacles pour mener à bien leurs projets. Racisme, cartes de séjour non renouvelées, manque d’accès aux financements, ils évoluent dans un climat des affaires et social difficile.
Franck Yotedje Tafo, directeur de l’association Afrique Intelligence dédiée à la défense des droits des migrants, et fondateur de l’entreprise Sapientia consulting à Sfax, estime que la Tunisie peine encore à exploiter la « richesse culturelle et économique » que peut représenter la diaspora subsaharienne.
Grâce au réseau associatif tissé par la diaspora, la communauté des migrants subsahariens de Sfax compte près de 2 500 étudiants et quelque 6 000 à 7 000 travailleurs. Conscient que son projet n’est pas la solution miracle pour décourager les départs clandestins vers l’Europe, Paul Laurent Nyobe Lipot veut aider certains à développer des projets d’envergure en Tunisie. À ce jour, plus de trente entrepreneurs sont sortis de ses deux dernières promotions.
Aïsha Moyouzame – Ecofin