La Ligue africaine de football a démarré en octobre 2023, apportant une nouvelle expérience de pratique professionnelle du sport roi sur le continent. Les enjeux sont grands, car cette compétition, la 1ère du genre au monde, servira sans doute d’expérimentation pour d’autres confédérations continentales, sans parler des bénéfices qu’elle peut engendrer pour les joueurs locaux africains.
Le match d’ouverture de la 1ère édition de la Ligue africaine de football (AFL) s’est tenu hier vendredi 20 octobre 2023 au stade Benjamin Mkapa de Dar es-Salaam en Tanzanie, accouchant d’un nul (2 – 2) entre les locaux du Simba SC et le club égyptien Al-Ahly. La CAF devient ainsi la première confédération footballistique à lancer une compétition de type ligue fermée à échelle continentale.
Le format est de 3 phases à élimination directe avec des rencontres aller-retour entre les 8 participants. Une enveloppe de 4 millions USD récompensera le gagnant tandis que le vice-champion sera doté de 3 millions USD. Les demis et quarts de finalistes se verront quant à eux respectivement octroyer 1,7 million et 1 000 000 USD. La Confédération africaine de football envisage un format à 24 équipes pour la prochaine édition, avec un prix de près de 6 millions USD pour le champion.
Le tournoi est financé entre autres par le Rwanda, et par l’Arabie saoudite à travers le sponsoring de son agence publique touristique Visit Saudi, entériné par un accord de partenariat signé en mai 2023 avec la CAF. Si le pays du Golfe cherche notamment à donner plus de poids à sa candidature à l’organisation de la Coupe du monde de 2034, les autorités du football africain affirment poursuivre des objectifs d’amélioration de la pratique professionnelle locale du sport roi.
« En fournissant une plateforme compétitive sans précédent, la ligue vise à élever la qualité du sport tout en générant des flux de revenus substantiels. […] Le succès de l’AFL contribuera à la construction d’académies de jeunes pour les garçons et les filles, et d’infrastructures de football dans les 54 pays » apprend-on ainsi. Elles espèrent aussi accroitre la rétention des talents africains dans les championnats nationaux, par l’augmentation des revenus des clubs.
Mais l’avènement de la Ligue africaine de football suscite un petit paquet de questionnements chez divers acteurs et observateurs du domaine. Premièrement, celui de la gestion d’un calendrier de matchs de plus en plus chargé pour les joueurs, avec des événements de moins en moins espacés qui risquent de créer des conflits d’intérêts à l’échelle internationale. C’est déjà le cas notamment avec plusieurs clubs de l’UEFA européenne, qui sont réticents à laisser leurs joueurs africains aller disputer des tournois dans leurs pays, avec les risques liés de blessure et de fatigue accumulée.
Ainsi, pour l’ex-coach du Raja Casablanca et de l’équipe nationale du Maroc, Rachid Taoussi, « Il aurait été préférable de mieux exposer et de mieux valoriser la Ligue des champions et la Coupe de la CAF » déjà existantes. Vient ensuite la question du choix des clubs participants. Si la CAF affirme avoir sélectionné les équipes les mieux classées de 3 subdivisions régionales du continent (Nord, Sud-Est, Centre-Ouest), il est vrai que le casting présenté pour cette édition peut laisser sceptique.
La présence de multiples vainqueurs de la Ligue des Champions africaine comme Al Ahly (11x), Enyimba (Nigeria, 2x), le Wydad Casablanca (Maroc, 3x), le TP Mazembe (RDC, 5x), l’Espérance de Tunis (Tunisie, 4x) et les Mamelodi Sundowns (Afrique du Sud, 1x) est très compréhensible, mais celle de l’Atlético Petroleos de Luanda (Angola) et du Simba SC l’est moins, sachant que de grands noms comme le Zamalek SC, la JS Kabylie, l’ASEC Mimosas, etc. ont été laissés de côté.
« Je suis surpris que cette année on ne trouve aucun club algérien invité, alors que nos clubs ont remporté de nombreuses compétitions continentales » a déploré l’ex-attaquant et entraineur de l’équipe nationale d’Algérie, Rabah Madjer, qui admet néanmoins devoir attendre d’autres éditions « pour se faire une idée plus précise » sur un concept qui lui semble intéressant économiquement et sportivement.
Le principal souci des ‘’opposants’’ à la nouvelle compétition est toutefois celui du fossé qu’elle risque de creuser entre les grands clubs du continent et ceux moins bien lotis. Un grief déjà émis à l’encontre du projet européen de Super Ligue porté en 2021 par de grandes marques du foot mondial (Real Madrid, Juventus Turin, FC Barcelone, Manchester United, AC Milan, etc.), mais qui est jusqu’ici tenu en échec par de fortes oppositions, notamment du public et de l’UEFA qui refuse de voir naitre une concurrence à sa Ligue des Champions.
C’est en réalité ce projet qui a inspiré l’AFL, suggéré en 2019 par le président de la FIFA Gianni Infantino, au cours de séjours en République démocratique du Congo et au Maroc. La nouvelle compétition devait même être baptisée Super Ligue africaine, avant le choix moins sujet à polémique du nominatif ‘’Ligue Africaine’’. Le principe d’une Super Ligue tend en effet à réduire en effet le facteur du mérite sportif dans le choix des membres pour augmenter celui de l’image de marque, ce qui favorise de facto les clubs les plus en vue et les plus riches.
« J’ai l’impression qu’on a créé une compétition élitiste où les plus riches, c’est-à-dire les clubs d’Afrique du Nord et d’Afrique du Sud, vont gagner plus d’argent quand ceux qui n’y participeront pas risquent de s’appauvrir » confie Saer Seck, ex-président de la Ligue sénégalaise de football et président du club de Diambars. « La Super League va tuer le football africain » renchérit le propriétaire du Cape Town FC (Afrique du Sud) John Comitis. Des craintes néanmoins balayées par les porteurs du projet qui se montrent très optimistes.
Pour Gianni Infantino, il y a un net besoin de cette nouvelle compétition panafricaine pour « changer l’avenir du football de clubs sur le continent », qui ne dispose selon lui pas d’une « infrastructure de compétition appropriée ». L’Italo-Suisse a d’ailleurs fait remarquer que les tournois africains de foot intéressaient beaucoup moins le public mondial que ceux européens.
La CAF s’attend quant à elle « une croissance remarquable », avec la mise en place d’un format étendu sur une saison sportive pour attirer plus de diffuseurs et de sponsors. Ce nouveau format verrait l’arrivée de 22 nouvelles équipes en provenance de toute l’Afrique. L’atteinte de ces objectifs permettrait de réaliser l’ambition de son président, Patrice Motsepe, de générer 250 à 300 millions USD chaque année avec la nouvelle Ligue africaine de football.
À préciser que la tenue de Ligue africaine de football n’affectera pas le déroulement de la Ligue des Champions de la CAF, qui demeure pour l’instant la compétition de clubs phare du football africain.