« On ira jusqu’au retrait ! » Le cortège n’est pas encore parti de Montparnasse que les représentants syndicaux motivent leurs troupes à grand renfort de slogans. Mais pour cette 10e journée de mobilisation interprofessionnelle, jeudi 20 février à Paris, et après deux mois et demi de contestation dans les rues, personne n’est dupe : « Il y a moins de monde que les fois précédentes ».
Les chiffres confirment cet essoufflement. Le ministère de l’intérieur a comptabilisé 92 000 manifestants dans toute la France (contre 121 000 lors de nla dernière journée de manifestation). A Paris, les chiffres officiels donnent 7 800 manifestants (contre 15 200 le 6 février), 50 000 selon la CGT. La participation est également en baisse par rapport à la journée de mobilisation, le 29 janvier.
Dans la capitale, les manifestants ont défilé entre Montparnasse et la place d’Italie où le cortège est arrivé dans le calme après 16 heures, derrière banderoles et pancartes : « Battez en retraite ! », « Retraites à points, travail sans fin » ou encore « Ce pouvoir est en dessous de tout, même de la ceinture ».
D’une même voix, les manifestants, qui veulent malgré tout maintenir la pression, reconnaissent une certaine fatigue, en plein examen chahuté du projet de loi à l’Assemblée nationale. « Ce sont encore les vacances scolaires », justifie Nathalie, 42 ans, aide soignante à Garches, qui travaille de nuit et « manifeste le jour ». Surtout, le mouvement commence à « trop affecter le porte monnaie ».
« Vous tiendriez, vous, après deux mois de manif ? »
« Pour le personnel soignant qui ne peut pas faire comme moi, l’impact financier est énorme », souligne l’aide soignante, représentante syndicale chez Sud. « Vous tiendriez, vous, financièrement après deux mois de manif chaque semaine ? », questionne cette mère de famille de trois enfants, qui estime qu’avec « des payes à 1 800 euros, personne ne peut tenir dans la durée » : « Si on était payé 4 000 euros par mois on serait bien plus nombreux dans les rues ».
Avec ses « deux fiches de paye à zéro euros », Touhami, 41 ans, employé au dépôt de bus de la RATP à Nanterre, « voit bien un essoufflement ». Tirelire à la main pour recueillir les dons, il assure toutefois qu’il reste « déterminé à faire toutes les manifestations. » Lâcher ? « Ah non, ce n’est pas à l’ordre du jour », a d’ailleurs martelé le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez dans le cortège parisien.
Certains envisagent d’autres formes de mobilisation, comme Touhami qui souhaite des « actions ciblées » pour faire durer le mouvement. Avec d’autres grévistes, Lola (pseudo), qui travaille dans la statistique publique, explique qu’elle entend « écrire des publications qui expliquent qu’il y a d’autres solutions » que celle proposée par la réforme.
Plusieurs manifestants évoquaient aussi un travail de terrain pour essayer de remobiliser au printemps de façon plus coordonnée. « Il faut relancer la stratégie d’un mouvement d’ensemble national où la question du blocage de l’économie soit centrale, remettre à l’ordre du jour la grève reconductible illimité ce qui n’a jusqu’ici jamais été au coeur de la stratégie des centrales syndicales », explique Gaël Quirante, secrétaire départemental Sud Poste des Hauts de Seine et membre de l’AG interprofessionnelle de ce département.
Des manifestants distribuaient ainsi des tracts pour une réunion dimanche à Paris d’une coordination de plusieurs assemblées interprofessionnelles et comité de grève de toute la France. « On va discuter de la mise en place d’une semaine noire en mars, avec le blocage de secteurs stratégiques. Il nous faut mettre en place un plan de bataille, détaille Gaël Quirante. Si on veut gagner, il faut un mouvement d’ensemble, avec à la fois les organisations syndicales, les organisations politiques opposées à la réforme et toutes ces formes d’organisations embryonnaires qui ont permis les blocages. »
Le Monde